Micula and others v Romania - Luxembourg Cour de Cassation No 116-22 CAS-2021-00061 - French - 14 July 2022
Country
Year
2022
Summary
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Sur les faits
Par ordonnance du 8 mai 2015 rectifiée le 22 mai 2015, la présidente du tribunal d'arrondissement de Luxembourg avait déclaré exécutoire au Grand-Duché de Luxembourg la sentence arbitrale no ARB/05/20 du 11 décembre 2013 rendue par le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (ci-après « le CIRDI »). La Cour d'appel a confirmé cette ordonnance.
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Réponse de la Cour
Il ressort de la discussion du moyen que le demandeur en cassation invoque la violation de l'article 1251 du Nouveau Code de procédure civile qui dispose « Sous réserve des dispositions de conventions internationales, le juge refuse l'exequatur : ... 2° si la sentence ou son exécution est contraire à l'ordre public ou si le litige n'était pas susceptible d'être réglé par la voie d'arbitrage ».
Les juges d'appel ont retenu que l'article 1251 du Nouveau Code de procédure civile ne s'applique que sous la réserve des dispositions de conventions internationales, que la Convention de Washington (ci-après « la Convention ») constitue une telle convention, qu'elle ne prévoit, hormis la condition tirée de l'existence d'une sentence arbitrale, aucune cause de refus de reconnaissance, qui n'est susceptible d'être invoquée, sur base de l'article 54, paragraphe 3, de la Convention, qu'au stade de l'exécution de la sentence arbitrale, qui est à distinguer de celui, applicable en l'espèce, de l'exequatur de la sentence.
Le refus des juges d'appel d'examiner la conformité au droit de l'Union européenne de la sentence arbitrale se fonde partant sur l'article 54, paragraphe 3, de la Convention, et non sur l'article 1251 du Nouveau Code de procédure civile qui ne fait que renvoyer aux dispositions de conventions internationales.
Le grief est dès lors étranger aux articles visés au moyen.
Il s'ensuit que le moyen est irrecevable.
Sur les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens de cassation réunis
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Conclusion:
Le pourvoi est recevable.
Les moyens du pourvoi sont à rejeter.
Il y a lieu de relever d'office et de déclarer fondés les moyens d'ordre public suivants :
- le moyen d'office, d'ordre public, tiré de la violation des articles 267 et 344 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et du principe de droit international public de l'immunité de juridiction des Etats étrangers, en ce que la Cour d'appel, saisie de l'appel contre une ordonnance ayant fait droit à une demande de reconnaissance, sur base de l'article 54 de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d'autres Etats, adoptée le 18 mars 1965 à Washington (la « Convention CIRDI »), de la sentence arbitrale n° ARB/05/20, rendue le 11 décembre 2013 par le Centre international pour le règlement des différends dans le cadre d'un litige entre, d'une part, différents investisseurs, dont M), et, d'autre part, la Roumanie, en exécution de la clause d'arbitrage prévue par l'article 7(5) du traité bilatéral d'investissement, conclu le 29 mai 2002, entre les Gouvernements de Suède et de Roumanie (« le TBI »), a écarté l'exception d'immunité de juridiction soulevée par la Roumanie aux motifs que « [a]u vu de la clause d'arbitrage, découlant de l'article 7(5) du TBI à laquelle l'ETAT de ROUMANIE a consenti, celui-ci est à considérer comme ayant expressément renoncé à son immunité de juridiction »316, tout en ayant été saisie des questions « de la primauté du droit de l'Union sur le TBI depuis l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne »317 et « de la contrariété entre le TBI et le droit de l'Union européenne »318, alors que, première branche, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a dit pour droit dans son arrêt Achmea, du 6 mars 2018 (C-284/16, ECLI:EU:C:2018:158), les articles 267 et 344 TFUE s'opposent à une disposition contenue dans un accord international conclu entre les Etats membres aux termes de laquelle un investisseur de l'un de ces Etats membres peut, en cas de litige concernant des investissements dans l'autre Etat membre, introduire une procédure contre ce dernier Etat membre devant un tribunal arbitral, dont cet Etat membre s'est obligé à accepter la compétence et que, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a constaté dans son arrêt Commission c/ European Food e.a., du 25 janvier 2022 (C-638/19 P, ECLI:EU:C:2022:50), le consentement que la Roumanie avait donné à la possibilité qu'un litige avec des investisseurs soit porté contre elle dans le cadre de la clause d'arbitrage prévue par l'article 7(5) du TBI est, à compter de l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne en date du 1er janvier 2007, « dépourvu de tout objet » (point 145 de l'arrêt précité) parce qu'il est contraire aux articles 267 et 344 TFUE, de sorte que ces articles s'opposent à déduire de l'article 7(5) du TBI une renonciation à l'immunité de juridiction et que, en procédant à cette déduction, la Cour d'appel a méconnu ces articles, et que, seconde branche, en déduisant la renonciation par la Roumanie à son immunité de juridiction du consentement donné par celle-ci à l'article 7(5) du TBI, tant bien même que, au regard des arrêts précités de la Cour de justice de l'Union européenne, ce consentement est contraire aux articles 267 et 344 TFUE et, à compter de l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne en date du 1er janvier 2007, « dépourvu de tout objet » (point 145 de l'arrêt précité Commission c/ European Food e.a., du 25 janvier 2022), la Cour d'appel a méconnu le principe de droit international public de l'immunité de juridiction des Etats étrangers,
- à titre subsidiaire, le moyen d'office, d'ordre public, tiré de la violation du principe de primauté du droit de l'Union européenne, en l'occurrence des articles 267 et 344 TFUE, rappelé par la Déclaration 17 relative à la primauté annexée au Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne319, en ce que la Cour d'appel a confirmé une ordonnance ayant fait droit à une demande de reconnaissance, sur base de l'article 54 de la Convention CIRDI, de la sentence arbitrale n° ARB/05/20, rendue le 11 décembre 2013 par le Centre international pour le règlement des différends dans le cadre d'un litige entre, d'une part, différents investisseurs, dont M), et, d'autre part, la Roumanie, en exécution de la clause d'arbitrage prévue par l'article 7(5) du TBI, aux motifs que « [i]l résulte des articles 53 et 54 de la Convention de Washington que l'unique condition posée à l'obtention de l'exequatur d'une sentence arbitrale réside dans l'existence d'une sentence CIRDI »320 et que « [h]ormis cette condition, la Convention de Washington ne prévoit aucune cause de refus d'exequatur d'une sentence CIRDI »321, de sorte que « les moyens de l'ETAT de ROUMANIE consistant à soulever la violation, du fait de l'exequatur, de certains articles du Nouveau code de procédure civile ne sont pas pertinents et ne seront pas analysés, à savoir la violation de : [...] 3) l'article 1251-2° du Nouveau code de procédure civile, plus précisément la violation de l'ordre public international résultant de la prétendue méconnaissance par la sentence du droit de l'Union européenne [...] »322, dont les questions « de la primauté du droit de l'Union sur le TBI depuis l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne »323 et « de la contrariété entre le TBI et le droit de l'Union européenne »324, alors que, suivant la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, initiée par l'arrêt Simmenthal du 9 mars 1978 (106/77, EU:C:1978 :49, points 21-24), en vertu du principe de primauté du droit de l'Union européenne, le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'assurer le plein effet de celles-ci en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel, que la Cour d'appel était saisie d'un appel contre une ordonnance ayant fait droit à une demande de reconnaissance, sur base de l'article 54 de la Convention CIRDI, d'une sentence arbitrale rendue en exécution de la clause d'arbitrage, prévue par l'article 7(5) du TBI, contenue dans un accord international conclu entre des Etats membres, en l'occurrence entre la Suède et la Roumanie, aux termes de laquelle un investisseur de l'un de ces Etats membres peut, en cas de litige concernant des investissements dans l'autre Etat membre, introduire une procédure contre ce dernier Etat membre devant un tribunal arbitral, dont cet Etat membre s'est obligé à accepter la compétence, que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans son arrêt Achmea, du 6 mars 2018 (C-284/16, ECLI:EU:C:2018:158) que les articles 267 et 344 TFUE s'opposent à une telle clause et qu'elle a constaté dans son arrêt Commission c/ European Food e.a., du 25 janvier 2022 (C-638/19 P, ECLI:EU:C:2022:50) que le consentement que la Roumanie avait donné à la possibilité qu'un litige avec des investisseurs soit porté contre elle dans le cadre de la clause d'arbitrage prévue par l'article 7(5) du TBI est, à compter de l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne en date du 1er janvier 2007, « dépourvu de tout objet » (point 145 de l'arrêt précité) parce qu'il est contraire aux articles 267 et 344 TFUE, que la Cour d'appel ayant eu l'obligation d'assurer le plein effet de ces articles aurait dû laisser inappliqué de sa propre autorité l'article 54 de la Convention CIRDI, qui s'applique en l'espèce dans les rapports entre Etats membres de l'Union européenne, à savoir entre la Roumanie, la Suède et le Luxembourg, et sert à exécuter une clause d'arbitrage qui est contraire au droit de l'Union européenne, et refuser, par réformation, la reconnaissance de la sentence arbitrale rendue en exécution d'une clause d'arbitrage contraire au droit de l'Union européenne et traduisant un consentement « dépourvu de tout objet », de sorte que, en omettant de ce faire elle a méconnu le principe de primauté du droit de l'Union européenne, en l'occurrence des articles 267 et 344 TFUE.
Sinon il y a lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne sur base de l'article 267 TFUE de la question suivante :
« Est-ce que les juridictions des Etats membres de l'Union saisies d'une demande de reconnaissance d'une sentence arbitrale prononcée par un tribunal arbitral sur base de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d'autres Etats, conclue à Washington, le 18 mars 1965 (« la Convention CIRDI ») en exécution d'une clause d'arbitrage contenue dans un traité bilatéral d'investissement conclu entre deux Etats membres de l'Union autres que celui de la juridiction saisie, clause à laquelle, au regard de l'arrêt de la Cour de justice du 6 mars 2018, Achmea (C-284/16, ECLI:EU:C:2018:158), s'opposent les articles 267 et 344 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telle la clause d'arbitrage contenue dans le traité bilatéral d'investissement, conclu le 29 mai 2002, entre le gouvernement du Royaume de Suède et le gouvernement roumain, au sujet de laquelle la Cour de justice a constaté dans son arrêt du 25 janvier 2022 Commission/European Food e.a. (C-638/19 P, ECLI:EU:C:2022:50) que l'arrêt Achmea lui était applicable (point 137 de l'arrêt) et qu'elle était, à compter de l'adhésion de la Roumanie à l'Union, dépourvue de tout objet (point 145 de l'arrêt.), sont, aux fins d'assurer le plein effet des dispositions du droit de l'Union, en droit de refuser la reconnaissance, tant bien même que les articles 53 et 54 de la Convention CIRDI obligent à reconnaître la sentence arbitrale sans autoriser un quelconque contrôle du respect de l'ordre public international et tant bien même que la Convention CIRDI ne constitue, du point de vue formel, pas une « loi nationale » telle que visée par l'arrêt Simmenthal de la Cour de justice du 9 mars 1978 (106/77, ECLI:EU:C:1978:49, point 21) ? ».
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